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Biblioblog de La Mulatière
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14 mai 2020

Marcher jusqu'au soir - Lydie Salvayre

Passionnée par l’œuvre de Giacometti et particulièrement par sa sculpture L’Homme qui marche, l'auteure se retrouve désemparée lorsqu'elle passe une nuit à ses côtés au musée Picasso… Impossible de raconter ce qu'il se passe en elle, l'émotion procurée : il ne se passe rien.
Cependant émerge une parole libre et décomplexée sur les liens qu'entretient l'auteure avec l'art et la culture. Ou comment, issue d'un milieu modeste, elle ressent encore intimement le décalage entre les mots paternels et ceux acquis dans un milieu lettré, polissé.

Marcher jusqu'au soir (Hors collection littérature française ...
« Et l'événement promis n'était pas advenu. Je n'étais que déconvenue, avec, en même temps, un pénible sentiment d'infériorité, le sentiment de n'être pas à la hauteur de ces sublimités ou, pire, le sentiment de les gâcher, le sentiment d'être dans un état d’hébètement profond, comparable à celui qui me terrassait lorsque j'étais filmée par la télévision. À cette idée, à se souvenir de ma stupidité télévisuelle, à ce rappel de mon incapacité à formuler de longues et séduisantes phrases dès lors que j’étais filmée dans un studio télé, je fus prise d’une grande colère, d’une grande colère contre un système qui jugeait de la valeur d’un écrivain non sur la
qualité de ses écrits mais sur ses putains de prestations télé. Je fus prise d’une grande colère contre un système qui ne promouvait que ceux qui avaient appris dès le berceau à formuler de jolies phrases car ils avaient des papas-mamans rompus à l’art de papoter, et non des enfants de broques, des enfants d’Arabes ou d’Espagnols, ceux-ci très désinvoltes avec la grammaire française car elle ne leur servait à rien dans leur boulot de merde, des Arabes et des Espagnols qui arrivaient rétamés à la maison après leur boulot de merde et se soulageaient de leur vie de merde en envoyant quelques beignes à leurs mioches, lesquels gardaient, en dépit de leurs études et de tous leurs efforts pour acquérir un français correct tel celui du fils Nouret qui utilisait des mots comme aporie, immarcescible ou épistémologique et jamais cul couille ou enculé et dont mon père disait qu’on voyait bien à l’entendre causer qu’il n’était pas tombé d’une charrette, lesquels mioches disais-je gardaient tout au fond d’eux-mêmes la vieille, l’incurable, l’immortelle empreinte des mal nés, des mal lotis en matière de langue comme en matière matérielle, des non-propriétaires en matière de langue comme en matière matérielle. »

Un texte humble, fort et sans détour à découvrir dans la très belle collection Ma nuit au musée (Stock).

Aurélie

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